ET SI ON RANGEAIT KATEB ET KOUROUMA ENTRE KAFKA ET KUNDERA…

Les romanciers, dramaturges et poètes africains méritent d’être découverts et entendus. Cela va de soi ? Peut-être et tant mieux, mais cela va encore mieux en le disant. En les lisant !

Certes quelques “baobabs” ont franchi les lisières de la notoriété et quelques jeunes pousses ont récemment conquis leurs places dans les rayons des librairies et sur les étagères de nos bibliothèques, dans les colonnes des journaux, devant les micros et les caméras, sur les podiums des prix et distinctions, et surtout dans les mains de nouveaux lecteurs, curieux non de fragrances exotiques mais, tout simplement, de littérature. Ainsi, Léopold Sedar Senghor, Amadou Hampâté Bâ ou Kateb Yacine. Ainsi, Mohammed Dib, Driss Chraïbi ou Tahar Ben Jelloun. Ainsi, plus récemment, Alain Mabanckou, Fatou Diome ou Boualem Sansal, Léonora Miano, Leïla Slimani ou Gaël Faye…Toutefois, notre approche paraît encore frileuse et nous tardons à les accueillir au même titre que les autres écrivains “élus”, sans condescendance ni commisération mais avec naturel et curiosité (elles ne sont pas toutes malsaines).

Il est pourtant nécessaire de les découvrir, de les reconnaître, non parce qu’ils sont noirs, africains, maliens ou algériens, sénégalais, congolais, marocains ou… francophones, mais parce qu’ils sont de bons écrivains.

Ces écrivains donnent à entendre leur continent et leur pays, les drames et les folies meurtrières traversées par leurs peuples et dont l’actualité a plus ou moins rendu compte. Ils accompagnent ou précèdent, parfois subissent les élans, les soubresauts et les fureurs de l’Histoire. Ils savent aussi nous convier dans leur univers personnel, délaisser le « nous » et se saisir du « je ».

Ils font alors résonner des voix qui ne sont pas celles d’un peuple ou d’une nation mais tout simplement celles d’un créateur. Tout comme Garcia-Marquez n’est pas le porte-parole de la Colombie et moins encore de l’Amérique latine, Murakami ne représente pas davantage le Japon et l’Asie, tout comme Le Clézio et Modiano ne se veulent les hérauts du peuple français, les écrivains du continent africain refusent d’être les porte-paroles d’une race ou d’un continent, sans pour cela nier ou renier leurs origines et leurs attaches. Ils ne veulent pas vanter systématiquement les beautés des hommes et des lieux, pas plus qu'ils ne veulent endosser l’habit du militant en dissidence ou du rebelle patenté. Ils revendiquent leur place d’artiste, affirment le primat de la littérature et apportent à leurs propos la plus-value artistique qui confère à l’œuvre sa force et sa durée.

Ils abordent de nouvelles rives littéraires, accostent à des berges jusqu’alors inexplorées. Ils empruntent des chemins de traverse. Ils emploient des mots neufs et… indépendants, ils apportent à la semelle de leurs mots les accents d’autres langues complices.

Connaître ces écrivains, c’est admettre que ce continent n’est plus inexorablement voué, dans le domaine culturel, à se faire entendre par les seuls arts de la musique, de la danse et de la sculpture. Ces formes d’expression artistique ont désormais trouvé leurs publics, leurs lieux d’expression, d’exposition et de reconnaissance. Il convient donc que la littérature trouve à son tour les siens, avec le roman, la poésie et le théâtre, et non pas seulement par le biais, souvent réducteur, de l’épopée, du conte ou de la légende. En attendant le jour, que nous souhaitons prochain, où l’on se rendra au théâtre pour voir une pièce de Sony Labou Tansi (et non plus du “théâtre africain”) comme on va voir une pièce d’Ibsen (et non du “théâtre scandinave”), en attendant de ranger bientôt, dans nos bibliothèques, les livres de Kateb Yacine et d'Ahmadou Kourouma entre ceux de Franz Kafka et de Milan Kundera...

Bernard Magnier

Bernard Magnier est directeur de la collection « Afriques » aux éditions Actes Sud et parlera dans son atelier au congrès de la littérature francophone hors de France